La lutte en Iran
Cet article, écrit pour le Gouren Magazine par Guy Jaouen, a été réalisé suite à un voyage d’étude consacré à la lutte traditionnelle en Iran du 30 mars au 14 avril 2019. Les visites ont été organisées principalement dans le Nord et Nord Ouest (voir carte) avec le soutien de la Fédération Iranienne du Sport (en milieu) Rural et des Jeux Autochtones, et de son président Gholamréza Jafari (Vice-président de l’ITSGA – International Traditional Sports & Games Association) qui occupe une position qu’on pourrait comparer à « ministre délégué ».
L’Iran est un vestige de l’ancien Empire Perse et représente 3 fois la France en superficie. Le pays touche le Pakistan au sud, l’Afghanistan à l’est, le Turkménistan au nord-est, l’Irak à l’ouest, la Turquie et l’Azerbaïdjan au nord ouest. En 2020, c’est un pays de 80 millions d’habitants. Ses grandes villes sont Téhéran 10 millions, Masshad 4 millions, Ispahan 2 millions, Tabriz 1,5 millions. Une forte densité de population est située dans une ceinture bordant la côte sud de la mer Caspienne, c'est-à-dire la ceinture verte du pays. Le centre et le sud ont surtout des déserts et l’Ouest et Nord-Est des zones montagneuses. Le pays est musulman chiite à 90%, mais n’a jamais été arabisé. En fait, l’ancienne religion zoroastre s’est fondue dans l’Islam pour créer un Islam particulier, représentant l’ancienne perse à travers le patrimoine culturel iranien. Aujourd’hui beaucoup d'importance est toujours donnée aux anciennes fêtes, en particulier celle du Nouvel An Nowruz, célébrée le 21 mars et, en 2019, j’étais invité dans le cadre de ces fêtes organisées pendant 10 jours après le Nouvel An.
L’Iran est une mosaïque de nombreuses ethnies différentes. Les deux principales sont indo-européennes et turques. La majorité des Iraniens parlent une langue du groupe iranien (persan, kurde, baloutchi) et ils comprennent tous le persan, la langue officielle. Cependant il faut savoir que l'aire linguistique des langues indo-iraniennes s'étend du Kurdistan turc jusqu'au centre de l'Inde, incluant le Tadjikistan, le Pakistan, l'Afghanistan. Le pays représente donc une grande mosaïque descendant du grand Empire Perse, et chacune de ces entités a développé sa propre personnalité, sa propre culture, ses propres jeux sportifs. En effet, les pratiques dites sportives sont avant tout des pratiques culturelles. Ce sont les créations d'une culture et le fruit d'une histoire particulière. Elles sont l'expression d'une façon de vivre et d’agir, d'une façon originale de communiquer avec les autres. Les jeux sportifs traditionnels sont une part de l'héritage corporel d'une culture, comme les danses, le théâtre et ils mettent en scène des résurgences enracinées dans la mémoire profonde du groupe social concerné.
L’Iran est une des grandes « nations » de la lutte en général. D’ailleurs ce n’est pas par hasard que l’United World Wrestling, la fédération internationale des luttes associées, propose la traduction de son site en farsi (le persan). De nombreux styles existent toujours en Iran, toutefois il est difficile de savoir si parfois ce ne sont pas des styles identiques avec un nom différent. En effet, comme pour les jeux de palets ou de quilles en Bretagne, il y eut visiblement une sorte de compétition afin de se démarquer de la région voisine (de l’ethnie voisine en Iran). L’Institut de recherche Pahlevani de Téhéran présente 19 styles de lutte, mais je n’ai pu observer que 8 d’entre-eux (voir les numéros sur la carte).
La fédération IRSLG (Iran Rural Sport & Local Games) est l’organisation responsable des jeux et sports dans les zones rurales (environ 22 millions de personnes). Elle a été rénovée en 2015 et son rôle est d’assurer un partage équilibré des installations et des activités sportives dans les communautés rurales, tant pour les sports conventionnels que pour les jeux et sports autochtones. L’une de ses missions est de redynamiser les pratiques autochtones en organisant des festivals spécifiques afin de faire la promotion des valeurs culturelles. Cette fédération est présente dans 31 provinces pour 1059 sections locales (de très grands clubs multisports). Un autre rôle est d’aider à l’autonomisation des personnes et l’amélioration du niveau de santé (globale) des communautés.
Les styles de lutte traditionnels sont nombreux. Il n’y a pas de fédération spécifique pour tous ces styles. Ils sont tous regroupés sous l’IRSLG qui impose uniquement une assurance. Ces luttes sont divisées en deux groupes principaux:
a) les styles dans lesquels soulever l'adversaire ou le projeter est considéré comme une victoire à condition qu'aucune partie du corps de l’attaquant ne touche le sol avant.
b) les styles dans lesquels la victoire est obtenue en faisant chuter l'adversaire directement sur le dos, ou en le faisant chuter sur le côté puis (dans le même mouvement) rouler sur tout son dos.
Style Zurkhaneh, présent dans les grandes villes
C’est un ensemble d’exercices athlétiques et de souplesse (ou Varzesh-e Pahlavani), dont une forme de lutte, pratiqué dans le gymnase traditionnel iranien.
Celui-ci se présente comme une fosse octogonale où les athlètes (pahlevans) s'entraînent au rythme du son d'un tambour. Cette pratique plonge ses racines dans la culture préislamique et elle représenta une forme de résistance culturelle après la conquête arabe. Après l'islamisation de la société perse, cette résistance se mua en un soutien aux valeurs chiites face au sunnisme. Valeurs chevaleresques et qualités morales sont requises de la part des pahlevans.
Style Zoran, province de Kermanshah et Kurdistan
(Kurdistan iranien, langue kurde) - La position est très similaire au style Back Hold, cependant la position du côté de la tête est décidée par tirage au sort. Les lutteurs sont supposés être poitrine contre poitrine pour démarrer le combat, mais la position n’est pas stabilisée par l’arbitre. Les catégories sont -75, -85, -95, 95-115kg. Le temps de combat est de 5mn plus 3mn de prolongation en cas d’égalité. Le résultat parfait est la projection de l’adversaire sur le dos, ou sur le côté puis en le roulant sur le dos. Une chute sur 1 genou = 1pt, garde cassée = 1 pt. Les points ne comptent qu’à la fin de la prolongation.
La fédération a rénové le vieux style vers 2015 et tente de relancer le style avec des lutteurs de lutte libre. Malgré l’affirmation que c’est un style de lutte debout, on voit les attaquants se laisser tomber sur le dos ou les fesses pour projeter l’adversaire. Idem lorsque l’attaquant se met à genoux pour faire une attaque, ce qui montre bien que les automatismes de la lutte libre ont déformé l’ancien style. Par ailleurs, la tentative de rénovation a plusieurs fois trébuché car l’intérêt est désormais situé autour de l’obtention des médailles en lutte olympique, source de reconnaissance sociale et façon d’obtenir un bon emploi.
Style Ashirma, province d’Azerbaîdjan
(région de Tabriz, langue azéri) – C’est un style de lutte où les mains doivent garder la même position sur une ceinture de cuir.
Cependant la prise à la ceinture se fait d’une façon différente de la lutte Goresh du Golestan (style du Turkménistan). En effet, le bras droit passe par-dessus l’épaule droite pour prendre sur le dos à la ceinture et la main gauche prend sur le ventre à la ceinture. Les lutteurs doivent conserver cette garde pendant tout le combat. Les catégories sont -66, -74, -84, -96, 96-120kg. Le combat se déroule en 2 périodes de 3mn. Le résultat parfait est la projection de l’adversaire sur le dos. Une chute sur 1 genou = 1pt, garde cassée = 1 pt. Une sortie volontaire de la surface de combat = 1pt. Les deux périodes de 3mn sont un transfert direct avec le règlement de la lutte olympique.
Style Gileh-Mardi, province du Gilan
(langue gilaki) - Le Gileh-Mardi est un autre style de lutte traditionnel. Ce style est pratiqué dans les deux provinces du nord de l'Iran, le long de la mer Caspienne (Mazandaran et Golestan). Au démarrage, les lutteurs s'alignent en une colonne et suivent un rituel religieux, comme l’évocation d’un pas vers la Mecque, embrasser le sol, regarder le ciel en sautant, ce qui signifie s'approcher de Dieu. Aujourd’hui, le Gileh-Mardi est généralement pratiqué en parallèle des cérémonies de mariage, de juin à septembre, lorsque la récolte du riz est terminée. Autrefois c’était aussi au moment des repas de fin des travaux, ou encore au moment des foires. Sa spécificité est que le tournoi commence toujours le soir après le travail et les obligations, et peut se terminer après minuit. Les lutteurs sont accompagnés en permanence par des musiciens. Les associations culturelles qui organisent cette lutte n’ont jugé utile que très récemment d’avoir des catégories de poids (-72 et +), sous l’influence de la fédération de lutte olympique. Ce n’est également que récemment qu’un temps de combat de 2 fois 4mn a été instauré.
Le début du combat s’engage par le défi d’un des lutteurs engagés, jusqu’à ce qu’un autre lutteur s’approche et lui touche les mains. Si le premier considère que ce lutteur est de sa classe, le combat s’engage avec des lutteurs qui d’abord se défient, courbés en avant, en balançant leurs bras comme s’ils allaient se battre (voir photo), mais aussi afin de créer des ouvertures. Dès que l’opportunité est trouvée, un des lutteurs se saisit de son adversaire afin d’essayer de le faire tomber. N’importe quelle chute de l’adversaire entraîne la victoire, ainsi que garder soulevé l’adversaire 2 ou 3 secondes, ce qui a priori ne justifie pas un temps limite de combat. A la fin du combat, le vainqueur va embrasser son adversaire. Le vainqueur du tournoi se voit remettre un mannequin, symbole de la victoire. Il y a 12 tournois et chacun dure environ 15 à 20 soirées ! Environ 40 à 50 lutteurs s’engagent en général. Il apparaît que cette lutte est vécue autant comme une cérémonie rituelle que comme une activité sportive.
Style Loucho, province de Mazandaran
(langue tabari) - Le style Loucho est très pratiqué autour d'Amol, Babol et Ghaemshahr. En réalité, le « loucho » est un bâton en bois d'une longueur de 3 mètres et il sert à exhiber les prix en argent, mais des prix en espèces sont également recueillis auprès des villageois (chèvres, moutons). Le vainqueur de chaque catégorie récupérera les prix attachés au bâton et portera le « loucho » lui-même à la main comme symbole de victoire. Le Loucho est organisé pendant le temps libre des villageois, sur une ou plusieurs journées, selon les possibilités. Autrefois le Loucho était arrangé pendant les veillées religieuses, les grandes fêtes, les cérémonies de mariage, après la récolte du riz ou lors des foires.
Tous les athlètes des villages voisins sont invités. Après les cérémonies d'ouverture, des défis sont organisés afin de trouver un adversaire. Le combat se déroule aujourd’hui en 2 fois 3mn. Le but est de mettre l’adversaire au sol. Plusieurs résultats sont comptabilisés comme « tombé » : 1 genou + 1 coude ; 2 genoux ; 1 genou + la tête ou l’épaule ; le dos ; toute la cuisse ; le ventre.
Les lutteurs ne peuvent pas sortir du cercle tracé au sol (12 m de diamètre environ). En cas d’égalité, un système spécial est utilisé pour désigner le vainqueur : un 2ème cercle existe au centre du 1er, d’un diamètre d’environ 5m. Les premiers résultats restent valables, mais obliger l’adversaire à sortir du cercle donne aussi le gain du combat.
Chaque année, 90 à 100 tournois sont organisés avec environ 80 à 100 participants. Chaque village a son tournoi. Ce style de lutte était autrefois utilisé pour terminer des conflits entre familles. Pour cela, chaque famille choisissait un représentant et le vainqueur déterminait quelle famille sortait la tête haute du conflit d’honneur.