Champs d’expression : gouren et art à la ferme
Début juillet 2020, je suis contacté par Cynthia Guyot, coordinatrice de l’association La Fourmi.e, basée à Rostrenen et dont le but est de développer des projets autour de la création contemporaine et de la recherche artistique. Ils organisent le festival d’arts urbains In cité, mais aussi Champs d’expression. Elle a eu mon numéro par l’intermédiaire d’un certain Eric Legret, photographe bien connu des lutteurs, fraîchement élu président de cette association qui bouillonne de projets. Une artiste bientôt en résidence serait intéressée pour travailler sur le gouren mais il faut que cela se fasse très vite. Elle est de Bordeaux et doit bientôt repartir. Seulement, les sports de combat sont encore interdits en France et je me vois mal alors entraîner des collègues dans des vidéos de gouren qui seraient destinées au public. Je décline déçu et lui propose de demander à Skol Speied.
Un bon mois plus tard, Erwan Puillandre me propose d’accompagner Maodez Huon pour une démonstration de gouren à Glomel, ce que j’accepte volontiers. Changement de planning, pour des raisons qui m’échappent alors, ça ne se fera pas là-bas finalement. Direction le lac de Guerlédan. Sur place, on m’attend. Cynthia et Erwann Babin, artiste en résidence de programmation et de création à La Fourmi.e, me regardent amusés jeter des regards circonspects à trois gros matelas immergés dans le lac. « Ah, t’es sans doute le lutteur à qui on n’a pas tout dit. » Taquin, Erwan avait « oublié » de me dire qu’on allait lutter non pas près d’un lac mais dans un lac ! Entre temps, tout le monde est là. Julie Chaffort, l’artiste en résidence, se présente. Elle nous explique sa démarche. Elle aime mettre des professionnels ou pratiquants aguerris d’une discipline « dans une situation inconfortable mais sans danger réel, et avec bienveillance ». Récemment, elle a fait se produire une danseuse de flamenco sur une barque instable. « A tout moment, on se demandait si elle allait chavirer. Au final non, mais c’était beau et excitant. » Après avoir demandé à Erwann s’il lui était possible de nager pour déplacer légèrement un bateau qui était dans le champ de la caméra, Julie nous briefe. « A partir du moment où j’ai dit « action », tant que je n’ai pas dit « coupez », vous n’arrêtez pas, jamais. Là, je travaille sur l’endurance, je veux vous voir épuisés, entendre vos souffles. » Les matelas sont à moitié immergés à moitié flottants. Ils sont mous et même mouvants. Dur de faire plus instable au niveau des appuis. L’eau, parfois jusqu’aux genoux, n’aide pas à se déplacer. Au moins, elle est bonne. La première chute est étonnante. Ensuite, le poids de la roched est multiplié mais curieusement, on y prend vite goût. Surtout, ne pas parler ou rire, ça tourne. Rapidement, on n’a plus envie de rire, ça devient éprouvant, encore plus qu’à terre. Entre chaque prise, on peut reprendre notre souffle. À la troisième prise, la nuit commence à tomber. Heureusement Julie est satisfaite. Et nous rincés mais contents.
Champs d’expression est un festival d’art contemporain à la ferme, « ce sont deux visions qui se rencontrent et se confrontent, celle du monde paysan et celle du monde artistique ». Cette année, 4 fermes, 5 artistes. Julie était en résidence à la ferme Les Yeux dans les Herbes de Brice Thomas, herboriste et apiculteur à Convenant Toussec, en Saint-Nicodème. Le 27 septembre, c’est là que nous sommes invités à voir le film, ainsi que les deux autres qui font partie du projet intitulé « PADOUT / durer, endurer, persister, résister. » (28mn). Les images sont magnifiques. Le travail du son m’impressionne. On entend le moindre de nos souffles, tous les bruits de déplacements dans l’eau… Sur deux écrans, les films se chevauchent. En plus du gouren aquatique, Krismenn essaie de chanter dans un lac tandis qu’il se fait plaquer régulièrement par une joueuse de rugby ! Puis des danseurs bretons tournent au rythme du chant sur un impressionnant tertre conçu pour l’occasion dans un champ proche de la vallée des Saints. Les visages souriants commencent à grimacer. Avec l’épuisement et sans accompagnement musical autre que la voix, la danse confine à la transe. Les paysages et la lumière du matin sont superbes. Nous nous rendons ensuite dans les trois autres fermes voir le travail des autres artistes en résidence. Puis vient l’heure des discours de remerciements… et de l’apéro. Une chouette expérience.
Hoel Maleuvre