La lutte en Iran (2ème partie)
Cet article est la suite de la " lutte en Iran " . Article réalisé suite à un voyage d’étude en Iran du 30 mars au 14 avril 2019 par Guy Jaouen. Les visites ont été organisées avec le soutien de la Fédération Iranienne du Sport (en milieu) Rural et des Jeux Autochtones (IRSLG), et de l’ancien président Gholamréza Jafari.
Les trois styles de lutte décrits dans cet article sont les styles Kordkuy ou Koshti Ba-Shawl (Lutte avec un châle – Koshti signifie ‘lutte’ en langue perse), Turkmène Goresh (lutte à la ceinture), Ba-Choukhe (lutte avec veste), c'est-à-dire les styles n° 6, 7 et 8 indiqués sur la carte de l’Iran ci-dessous.
6 - Style Koshti Ba-Shawl, limite des provinces Golestan et Mazandaran
Le style Ba-Shawl est pratiqué sur un territoire assez limité, entre la grande ville de Gorgan et celle de Behshahr. Pour un néophyte, c’est déroutant de découvrir cette lutte car encore une fois cela ressemble à un rite. Le style se pratiquait surtout au moment des fêtes du printemps et lors des mariages. Il n’y a pas si longtemps pratiqués en plein air, les tournois de lutte Ba-Shawl sont maintenant organisés en salle, avec un nombre de spectateurs restreint. Il semble qu’une nouvelle fois l’influence de l’organisation moderne de la lutte a surtout mis en place des interdits ( ‘dits’ ou ‘non dits’). Les prix étaient des moutons, du tissu, de jeunes vaches et même de l'argent, que les sponsors locaux remettaient aux vainqueurs. Aujourd’hui chaque vainqueur d’un combat reçoit un petit prix symbolique.
C’est l’ancien champion olympique de lutte libre, Eisa Momeni du village de Yesaqi (environ 8000 habitants) qui nous accueille, comme ce fut le cas avec Fardin Masoumi (olympique et mondial) à Rasht (province du Gilan). Ces anciens champions sont souvent employés par la fédération IRSLG comme coordinateurs régionaux. Selon nos informateurs, cette zone a fourni de très grands champions, avec un pourcentage de lutteurs (en différents styles) dépassant les 50% dans une tranche d’âge, comme c’était le cas à Berrien dans les années 1970.
Le tournoi de Yesaqi avait 18 participants et dans cette zone de l’Ouest de Gorgan il n’y a plus que 100-120 lutteurs à participer aux 8-10 tournois annuels. Des catégories de poids : -65 ; -75 ; -85 ; -95 ; 95-130 ont cependant été imposées pour une pratique qui aujourd’hui ressemble à un jeu. En effet, de nombreux participants viennent s’essayer à un style particulier où ils s’empêtrent avec les longues ceintures de châle roulé (un ‘chech’ ou turban à l’origine).
L’installation des deux lutteurs (souvent en position accroupie) peut prendre plusieurs minutes, et il faut souvent que les arbitres viennent eux-mêmes disposer les châles de façon correcte. Le châle est croisé de façon à faire un 8, avec un tour à la ceinture et un autre en haut de la jambe (droite ou gauche).
Une fois les lutteurs installés, une main à la ceinture et l’autre à la jambe, l’arbitre donne le signal et les lutteurs se redressent pour attaquer (lutte debout). Comme la position impose un corps à corps très rapproché, l’issue est en général très rapide. Le vainqueur est celui qui pourra amener tout le dos (par une chute directe ou en faisant rouler l’adversaire), ou encore le genou, de son adversaire au sol.
7 - Style Goresh, province du Golestan
Le style Goresh est pratiqué par les populations turkmènes du Golestan. C’est un style de lutte à la ceinture similaire aux styles tatars et à de nombreuses luttes de l’Asie Centrale, mais également à la Lucha Leonesa. On peut dire que tous ces styles ont été fortement influencés par l’habit de tous les jours en ce sens où les protagonistes s’agrippaient par la pièce servant à retenir leur pantalon, souvent une ceinture en tissu, une sorte de châle. Cette célébration sociale était généralement pratiquée lors des mariages et à l’occasion des fêtes calendaires avec des tournois en général organisés sur un terrain meuble autour du village ou sur l’aire d’une foire. Les arbitres étaient choisis parmi les anciens lutteurs, comme en Bretagne. L’organisateur annonçait les prix à gagner ‘bayragh’ soit des animaux, argent, rouleau de tissus. Il n’y avait ni catégories de poids ni de temps limite il y a quelques années. Le combat était perdu dès que la main ou n’importe quelle autre partie du corps touchait le sol.
En 2019, ce sont les responsables de la fédération qui nous ont accueillis à Gonbade, puis nous fûmes invités à un mariage. L’après-midi était consacrée à la lutte en l’honneur des mariés et de leurs familles qui avaient mis trois chèvres en jeu ainsi que quelques prix en argent (l’équivalent de 50-60€ au 1er). Après quelques combats réservés symboliquement à des familiers de la famille, les lutteurs furent appelés et environ cinquante se sont mis en cercle autour de la piste (âgés de 20 à 40 ans). Les combats étaient organisés par défi. L'arbitre plaçait les lutteurs, leur donnait une ceinture et vérifiait que celle-ci était serrée de façon adéquate. Pour s’assurer d’un bon réglage, une brique de terre cuite est placée entre la ceinture et le dos, puis enlevée, ce qui est censé permettre aux lutteurs de placer leurs mains (les maisons sont toutes bâties de ces briques fabriquées sur place). Cette zone est la dernière à pratiquer cette technique et aussi l’organisation de luttes pour célébrer des mariages. Dans la position de garde de départ, les lutteurs doivent chacun saisir la ceinture de l'autre par l'arrière, de chaque côté, et une des mains doit être enroulée par la ceinture autour du poignet.
Il y a quelques années, la modernisation (présupposée) du Goresh a initié cinq catégories de poids dont les valeurs sont fluctuantes : en 2019 -75 ; - 82 ; - 90 ; - 100 ; + 100kg. Le temps de combat fut limité à 3mn et la possibilité d’une victoire par points fut ajoutée au règlement. Un tombé compte 1 point, et il faut au moins deux tombés pour gagner le combat avant les 3mn (système ‘best of three’). Le tombé est équivalent au tombé du Back-Hold. Si à la fin du temps de combat un lutteur a 1 point, il gagne. S’il y a égalité, une prolongation a lieu. La compétition est par élimination directe. Des compétitions en salle et sur tapis ont également été initiées. En 2016, un premier tournoi international était organisé, sur tapis, avec la participation de l’Iran, du Turkménistan, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. Un deuxième était organisé en 2019. Cette même année, la jeune fédération s’est vu offrir un siège social à Gonbade-Kavoos. Aujourd’hui les entraînements se font dans de grands clubs multisports. Il y a seulement une petite poignée d’entraîneurs qui passent dans 6-7 clubs (1 fois par semaine). Il y a environ vingt tournois officiels, dont deux organisés au moment de fêtes importantes (20-25000 spectateurs pour l’un d’entre eux).
8 - Style Ba-Choukhe
Ou lutte kurde, dans les 3 provinces du Khorasan (langue kurde). Le style Ba-Choukhe était pratiqué par les populations à majorité kurde du Nord-Est du pays. C’est un style de lutte avec habit similaire à la Chidaoba de Géorgie et donc du Gouren. Là encore ce style a été fortement influencé par l’habit de tous les jours car ‘Choukhe‘ signifie gilet en langue kurde. Ba-Choukhe est donc une lutte qui se fait avec une veste en laine tissée ou en lin, ouverte et tenue par une ceinture de tissu, la même qu’au Turkménistan. Le pantalon ne doit pas descendre en dessous du genou. Cette tenue est très proche de celle de la lutte cornique et de sa cousine irlandaise, le Collar and Elbow. Les fêtes de mariages et les fêtes calendaires étaient aussi l’occasion de se rassembler avec des tournois organisés sur un terrain meuble autour du village.
Jusqu’au début des années 2000, il n’y avait que quelques tournois chaque année. Avec l’arrivée des réseaux sociaux, depuis le début des années 2010, chaque village veut créer son arène de lutte car c’est la seule grande animation dans les villages et aujourd’hui il y a 50-60 tournois. Ces arènes, appelées Gout (prononcer ‘gaout’), sont en pratique de gros trous que l’on creuse dans une petite colline, puis des murets sont rebâtis à partir du point bas de façon à créer différents niveaux de passages en terrasse afin d’accueillir les spectateurs (voir photo). L’aire de lutte est du sable que l’on remue afin qu’il soit plus souple. Solution ingénieuse, bon marché pour les finances locales et qui ne détruit pas l’environnement. En 2019, il y avait aussi plusieurs tournois en salle sur tapis.
Comme je l’ai expliqué dans le premier article, il n’y a pas de fédération spécifique pour la plupart des styles. Ils sont tous regroupés sous la fédération iranienne IRSLG qui impose uniquement une assurance. Il n’y a pas de clubs spécifiques mais quelques clubs de judo comblent en partie ce vide pour les meilleurs. Les autres pratiquants doivent donc trouver des solutions pour s’entraîner. Comme ce sont souvent des ouvriers du bâtiment ou des bergers qui participent afin de gagner un peu d’argent, ils s’entraînent parfois sur leur lieu de travail, comme les paysans en Bretagne aux 18ème et 19ème siècles. Cependant, en 2016, le ministère avait attribué ce style à la fédération de lutte olympique, mais, comme celle-ci ne faisait absolument rien pour sa promotion, les pratiquants ont réclamé son retour à l’IRSLG après moins d’un an. Au vu de l’engouement actuel pour ce style (environ 10000 compétiteurs sont assurés pour ce style + les entrées des judokas et lutteurs libres), une sorte de comité national a été créé, placé sous l’IRSLG (ce fut un des nombreux points sur lesquels je fus interpelé). Il faut aussi noter que pendant mon séjour la télévision proposa un débat entre des promoteurs d’une fédération internationale de Ba-Choukhe plus ou moins professionnelle et les représentants de l’IRSLG. Cette forme de professionnalisme est probablement inspirée par le système des ‘Grands Prix’ que l’UWW cherche à mettre en place où des champions sélectionnés dans plusieurs styles se rencontrent.
De nouvelles catégories de poids et un temps limite de combat ont été introduits assez récemment : -65, -75, -85, -95, +95kg (dans les années 1980, 3 catégories avaient été introduites, -70, 70-80 et + 80kg). Le temps de combat est de 5 mn + 3mn en cas de prolongation (à partir de 1983 c’était 10mn et 5mn). Si au bout de 8mn il y a toujours égalité, les 2 lutteurs sont pesés et le plus léger est déclaré vainqueur. Un tombé parfait donne une victoire immédiate comme en Gouren. C’est le résultat d’une chute de l’adversaire sur une ou deux épaules (direct ou en roulant dans le mouvement). Cela peut aussi être une chute de face de l’adversaire sur ses deux paumes de mains et ses deux coudes. Enfin cela peut être lorsque l’adversaire est soulevé, plié à 90 degrés et que l’attaquant tourne de façon à ce que l’ombre de son opposant disparaisse (ces deux derniers éléments semblent remonter à la nuit des temps). Le système du tombé parfait et d’une limite de temps impose des résultats intermédiaires : 1 chute sur les deux mains et genoux = 1 point ; 1 chute sur la hanche avec une réception sur les deux paumes de mains + 1 coude = 1 point ; lorsque les épaules sont plus proches du sol que les hanches après une chute = 1 point. Aujourd’hui encore des prix en nature sont donnés, mais ils ont tendance à être remplacés par de l’argent. Cela peut être une jument au vainqueur, une vache laitière au 2ème, un bélier au 3ème. A Esfarayen 2019, le 1er de chaque catégorie avait environ l'équivalent de 250€ soit un salaire mensuel moyen, le 2ème 200€, le 3ème 100€.
Cette inflation des tournois de Ba-Choukhe et des prix qui y sont alloués fait que beaucoup de lutteurs de lutte libre et de judokas d’autres régions souhaitent participer. A chaque tournoi où j’étais invité, des banderoles étaient brandies afin de revendiquer le droit de devenir sport olympique.
Texte : Guy Jaouen